Bonsoir,
Voici donc la suite, pas triste non plus
L'arrêt de 1650, qui avait prononcé l'interdiction de René Barbier, portait en outre que les enfants des deux époux seraient « envoyez au collège, pour apprendre les bonnes lettres, jusqu'à ce que l'aisné fût en âge d'être mis à l'Académie ; et cela par l'un des trois parents nommez pour donner leur suffrage, lorsqu'il s'agiroit de l'éducation. »
En conformité de cet arrêt, Joseph Sébastien "Amador", ayant atteint ses dix-sept ans, partit pour Paris au mois de janvier 1653 et fut placé « à l'Académie, pour y apprendre les exercices et les devoirs d'une personne de qualité. »
Par surcroît de précaution, la mère et les parents de Joseph, «qui connaissaient la facilité (sic) du marquis de Kerjean le père, dans la juste crainte qu'il n'engageât son fils dans un mariage qui ne seroit ny heureux, ny honorable », obtinrent du Parlement un second arrêt lui défendant de tirer l'enfant de l'Académie ou de le marier.
C'était le vrai moyen de le piquer au jeu.
Ainsi provoqué, notre homme (René le papa) jette feu et flammes.
Il jure de « se vanger » et n'y réussit que trop bien :
Cinq jours lui suffisent pour bâcler le mariage de Joseph avec une demoiselle
Marie Martin de Laubardemont (contrat signé le 27 mars 1654, ban unique le dimanche 29, mariage le 31

), laquelle n avait ni sou ni maille et ne pouvait donc être qu'une charge pour son mari, si le vieux marquis ne s'était engagé à servir aux conjoints une rente de 6.000 livres et à les entretenir, « eux et leur train », au château de Kerjean.
L'engagement lui pesa-t-il à la longue ? Marie de Laubardemont se montra-t-elle une bru revêche ? Sa conduite prêtait-elle à la critique déjà ?
Ou fut-ce seulement de n'avoir pas donné d'héritiers à son mari qui indisposa son beau-père contre elle ?
Toujours est-il que le vieux marquis ne tarda pas à se repentir de « ce qu'il a voit fait par dépit et colère. »
Avec autant de passion qu'il avait mis à conclure le mariage de son fils, le voilà qui en réclame la cassation, soutenant qu'il était nul, puisqu'il avait été contracté en violation des arrêts du Parlement et dans des formes illégales.
Le jeune marquis, qu'on n'a pas consulté, se refuse, « soit par honneur ou inclination », à se séparer de sa femme.
Et même, apprenant que son père et sa mère poursuivent «chaudement » au Parlement de Bretagne l'annulation de son mariage, il décide de se rendre à Rennes pour « empescher la surprinse » ;
Mais, Marie de Laubardemont « lui ayant remontré que les sollicitations des femmes estoient toujours puissantes et qu'il seroit plus à propos de lui laisser faire ce voyage », il change d'avis et, après lui avoir fait « compagnie pendant deux journées et s'être donné bien des témoignages d'une amitié réciproque »,

il l'expédie à sa place, munie d'une procuration en règle, sous l'escorte de trois valets, Laguillette, Vendosme et Laburthe, dit « père Michelet ».
Un vrai trio de coquins, selon le jeune marquis.
Encore s'explique-t-on mal qu'à leur suggestion Marie de Laubardemont, qui avait tout intérêt à demeurer marquise de Tromelin, au lieu de s'arrêter à Rennes pour défendre la validité de son mariage, ait brûlé l'étape et s'en soit courue d'une traite à Paris où elle commença de mener, au témoignage du bon Missirien, « la vie la plus scandaleuse.»
Tout n'est donc point mensonge dans les accusations si précises portées contre elle par son mari et qui la représentent comme s'étant faite « la dame des plaisirs de M. le Grand Maistre (Le duc du Lude, grand-maître de l'Arsenal.) » et tenant commerce public de galanterie au Palais-Royal, puis rue des Tournelles et, en dernier lieu, dans le quartier de l'Arsenal.
Son appartement « estoit un lieu de débauche, où tout le monde estoit bien venu... Elle estoit propre à tout faire ; elle payoit de sa personne ou de la personne de quelqu'autre : les Amans n'avoient qu'à choisir. »
Après avoir été « entretenue par un mousquetaire et par le nommé Duval, elle avoit passé entre les bras du sieur de Grandmont, de l'abbé de Parsibelle

, du valet La Chapelle, du duc du Lude enfin, de qui « elle recevait de bons présens » et servait les intrigues, notamment avec « une demoiselle de qualité » dont il « estoit extrêmement amoureux » et qu'elle essaya d'attirer à l'Arsenal.
Aussi bien « sa plus sérieuse occupation » était- elle « de débaucher les jeunes filles et de mettre leur pudeur à l'encan. »
Outre la nommée Faverolle, « fille de débauche », elle avait « auprès d'elle une petite fille qui estoit libre et hardie en paroles sales et déshonnestes » ;
Un témoin, Grandnom, dépose qu'ayant été prié à déjeuner par La Chapelle « chez la dame marquise de Querjan » (sic), il y vit « des filles qui dansèrent toutes nues. »
Et ce sont les mêmes paroissiennes sans doute dont elle se fit escorter chez le lieutenant-criminel Dessita, qui, saisi par Joseph d'une demande d'informer, au lieu de « décerner un décret de prise de corps contre cette emportée » et « pour faire les choses plus honnestement », l'avait invitée à se rendre « chez lui » à fin d'interrogatoire : la Laubardemont n'eut garde d'y manquer et, ne voulant point être en reste avec un magistrat si galant, lui offrit la surprise d' « une compagnie de Syrènes auxquelles Ulysse même n'aurait pas résisté (
Moi non plus)
Il semble bien qu'en tout ceci Joseph soit de bonne foi et nous avons vu que tel était aussi l'avis de Missirien.
Malheureusement pour le plaignant, les juges ne partagèrent pas cet avis : Convaincu (ou présumé tel) de subornation de témoins, Joseph fut condamné une première fois par le Châtelet (13 mai 1682) à faire « amande honorable devant Notre-Dame, puis banny à perpétuité hors du Royaume, ses biens confisqués », etc.
Le Parlement confirma purement et simplement cette sentence par arrêt du 21 août 1682.
Et tant de sévérité ne laisserait pas de surprendre si, avec tous ses titres, Joseph-Sébastien Barbier, « chevalier, seigneur marquis de Querjan, chef d'escadre de Bretagne, commandant le Régiment de Léon », n'avait été encore, au moment du procès, un assassin et un contumace.
La Laubardemont ne valait sans doute pas cher: mais que penser de Joseph lui-même?
Les procès pendant entre son père et Hamon Le Dall suivaient toujours leur cours : la mort des deux parties ne les avait pas éteints ; ils continuaient entre leurs hoirs ; les saisies succédaient aux saisies, les arrêts aux arrêts.
La justice ne fut jamais pressée : elle l'était encore moins sous l'ancien régime que de notre temps.
Cependant, au lieu de s'en remettre à ses décisions, Joseph Barbier, de retour à Kerjean, se portait à une tentative de meurtre sur la personne de Jérôme Le Dall (fils de Hamon?).
L'attentat, qui se place vers 1680, eut pour théâtre Plouescat, où Jérôme s'était rendu sans doute pour son commerce, un jour de foire ou de « pardon. »
S'il ne s'agit pas d'un guet-apens, ce dut être à tout le moins une de ces violentes bagarres entre gentilshommes et manants, feutres à plumes contre calahoussen. épées contre pemi-baz, comme nous en peignent les gwerzioii de Luzel.
Nombre de seigneurs bretons ressuscitaient en plein XVIIeme siècle les moeurs de la féodalité.
Et le fait est que l'abbé de Penanprat, qui « a laissé un armorial et nobiliaire manuscrit où il épargne peu les grandes familles bretonnes », dit expressément que le marquis de Kerjean « se tenoit bloqué dans son château, où il exerçait la tyrannie, avec les marquis de Maillé et Locmaria du Guerrand. »
De ces aires féodales, nos brigandeaux se lançaient sur les manants qui avaient le mauvais heur de leur déplaire, raflaient les jolies pennerez et ne se gênaient pas au besoin pour détrousser les marchands.
Ils se flattaient d'une impunité que la justice royale n'était pas toujours disposée à leur accorder, Joseph Barbier en fit l'expérience.
Ecroué dans les prisons de Quimper-Corentin, d'où il s'évada par effraction, et condamné à 10.000 livres d'amende, il était repris peu après, peut-être à l'instigation de sa mère, et enfermé au Petit-Châtelet de Paris, puis à la Conciergerie du Palais.
C'est seulement pendant sa détention qu'il apprit, si on l'en croit, les débordements de sa femme, dont il était séparé depuis plus de vingt ans, et c'est du Chàtelet qu'il adressa requête au lieutenant criminel pour obtenir permission d'informer contre elle (25 juillet 1681).
On sait l'accueil que ménagèrent les juges à cette requête, renouvelée avec un égal succès le 2 mars 1682.
Banni du royaume, dépouillé de son patrimoine, abandonné de ses parents, dont certains, qui convoitaient son héritage, avaient lié partie avec la Laubardemont, le triste sire se retira dans le Comtat Venaissin et entre temps, pour n'en pas perdre l'habitude, fit quelques années de prison au château de Pierre-Encise, près Lyon.
Après sa femme, peut-être n'eut-il pas d'ennemi plus acharné à sa perte qu' Euphrasie Barbier, dame de Coatanscour, sa « niepce cruelle », qui, à défaut d'héritier direct, était appelée à lui succéder dans ses biens et qui mit tout en oeuvre, d'après Missirien, pour entrer plus tôt en leur possession
Joseph, non sans quelque fondement, l'accuse de l'avoir dénoncé et fait arrêter en 1689 à Paris, où elle l'avait attiré dans l'espoir de « le faire condamner à mort pour infraction de son ban. »
Vainement, au décès de sa mère, argua-t-il près des tribunaux que, d'après la coutume de Bretagne, le bannissement n'entraîne pas la mort civile et ne prive pas le banni de son patrimoine et de l'aptitude à recevoir un héritage: le château de Kerjean, ses dépendances, ses revenus, passèrent à la dame de Coatanscour.
Joseph n'obtint qu'une dérisoire pension de 2.500 livres.
Il vivait encore en 1715. Presque octogénaire, « sans secours, sans crédit », il adressait au roi, cette année-là, d'Avignon, une supplique lamentable : il y affirmait le sincère repentir de ses fautes, retirait toutes les accusations qu'il avait portées contre sa femme, lesquelles, disait-il, étaient la suite « de quelques méchants conseils, pendant qu'une longue prison lui ôtait la liberté du corps et celle de l'esprit » et terminait en implorant la clémence royale.
La supplique fut écoutée et Joseph obtint des Lettres de rémission qui évoquaient l'arrêt de 1682 et restituaient le suppliant « dans sa bonne fàme et renommée, honneurs, dignitez et privilèges, et dans tous ses biens non d'ailleurs confisquez, droits et actions, pour en jouir et les exercer comme si le dit arrêt n'était pas intervenu. »
Il est toutefois fort probable que ces Lettres, au moins en ce qui concerne la clause récupérative des « biens, droits et actions », ne furent suivies d'aucun effet, car les Coatanscour se substituèrent paisiblement aux Barbier dans la jouissance de Kerjean.
Celle que Joseph appelait sa « niepce cruelle », Gabrielle-Henriette-Euphrasie Barbier, née en 1665, mariée en 1689 à
Alexandre de Coatanscour, était morte dans l'intervalle (17 nov. 1703).
Elle avait eu de son mariage, le 17 juin 1690, Alexandre-Paul-Vincent de Coatanscour qui servit dès l'âge de quinze ans dans les mousquetaires
et fut nommé colonel du régiment d'Angoumois le 28 février 1714.
I1 épousait la même année Louise-Marguerite Chambon d'Arbouville, qui lui donnait un fils mort en bas âge et trois filles, dont l'aînée seule nous intéresse.
Née « dans la grande chambre du château de Kerjean », le 25 mai 1724,
Suzanne-Augustine de Coatanscour ne démentit point cette noble origine.
Je veux bien qu'elle ait été belle, puisque Kerdanet s'en porte garant, mais elle a laissé surtout une réputation d'arrogance qui perce au travers des lignes du panégérique de Kerjean.
Cette fière personne ne trouvait aucun parti assez haut pour elle.
Elle en rebuta tant qu'elle faillit sécher sur tige.
A la fin elle fut heureuse qu'un gentilhomme de bonne famille, mais sans fortune et presque quadragénaire,
Louis-François-Gilles de Kersauzon-Brézal, lui fit la grâce de l'épouser (1755).
Et il est vrai qu'elle avait alors trente et un ans sonnés. Mais elle y mit comme condition qu'il prendrait « en seigneurie » le nom de Coatanscour .
Deux enfants, un garçon et une fille, naquirent de cette union tardive et n’eurent qu'une courte fleur de vie.
Kersauzon-Coatanscour mourut lui-même en 1767, à l'âge de cinquante
et un ans. La marquise de Coatanscour continua d'habiter Kerjean avec sa soeur Anne-Marie, veuve d'un Launay de l'Estang, baron du Saint-Empire.
Elle tenait son château sur le pied de guerre, comme au moyen-âge, les coulevrines et les bombardes chargées, les herses baissées, les pont-levis « exhaussés » chaque soir au son de la cloche et les clefs de la place déposées en grand arroi « sous » son chevet On observait en outre, dans le château, l'étiquette et le cérémonial qui rappelaient les premiers âges de la féodalité.
Dans les repas, la marquise, placée au haut bout de la table, assignait aux convives les rangs dans la juste mesure du mérite qu'elle leur supposait : les marquis et les comtes ses parents, puis les chevaliers, occupaient les postes d'honneur et, par gradations insensibles, la ligne descendait jusqu'à la roture, qui commençait par le procureur fiscal et finissait par le chapelain.
On connait la suite, la guillotine etc ....
J'adore ces belles histoires d'amour chez nos nobles gens du Finistère passé
