Prénoms : Reine / René / Ronan

Linguistique - Anthroponymie - Toponymie :
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André-Yves Bourgès
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Message par André-Yves Bourgès »

Bonjour Pierre Yves, bonjour à tous,

chopendoz a écrit :Le saint René de Naples me paraît tout aussi factice que celui d'Angers et il semblerait que ce soit le même individu d'après la légende : http://hodiemecum.hautetfort.com/archiv ... s-450.html
La promotion de son culte au Moyen Age est vraisemblablement liée à la réunification des royaumes de Naples, d'Anjou et de Provence par Charles, frère de saint Louis, en 1266.

Il y aurait eu une translation du corps de saint René d'Angers en 1151 mais je n'en sais pas plus pour l'instant.


Plutôt que de "saint factice", expression que je réserverais aux saints imaginaires et facétieux dont l'excellent chercheur J. Merceron s'est efforcé de donner le catalogue (voir ici), je préfère parler, à la suite de G. Philippart, de "saint de papier", ce qui permet de ne pas entrer dans la discussion sur l'historicité d'un saint, mais de se concentrer sur son culte : ainsi son dossier hagiographique (quand il existe) est à interpréter comme "l'histoire de l'histoire du saint" et contribue à nous renseigner sur les origines et le développement de la dévotion dont il faisait l'objet.

Dans le cas de René, la première strate du dossier remonte au récit que lui a consacré au début du Xe siècle Archanaldus dans sa vita de saint Maurille, évêque d'Angers (lui même "saint de papier", s'il en fut !). A la fin du Moyen Âge, René bénéficiait d'un culte assez populaire à Angers même, où il était invoqué pour les problèmes de fécondité.


J'ai commencé à relever les témoignages du culte de saint René en Bretagne (chapelles et statues) : on en trouve particulièrement dans le 44 et dans le 22. Mais dans les Côtes d'Armor, qui est réellement honoré : René ou Ronan ? Ni l'un ni l'autre me direz-vous peut-être... Le paradoxe est flagrant à Hillion (dont le patron est saint Ronan) où nous avons un village Saint-René, dit Saint-Regnan en 1554.


Effectivement, le problème est complexe : dans l'article en ligne que vous avez eu la gentillesse de mentionner, je me suis efforcé de montrer que la captation du culte de Ronan avait pour but d'habiller un saint cornouaillais inconnu avec les fourrures de la légende déjà assez bien développée à Hillion ; mais l'hagiographe a eu l'honnêteté de signaler que les Hillionnais ne s'étaient pas laissés dépouiller sans protestation...


A Plouray (56), on explique parfois l'étymologie par Plou-Ré (pour René) et on trouve effectivement une statue de saint René dans l'église paroissiale. Il semble cependant que le saint primitif était Rivoal, ce qui est attesté par de nombreuses attributions de ce nom comme nom de baptême dans la paroisse.


Etymologie hasardeuse à rejeter absolument !


Pour le coup, on est loin de la quête de l'énigmatique Reine Siohan qui intéresse Yvonne et il faudrait peut-être déplacer ce message qui devient tout à fait hors sujet...


D'accord avec vous : merci au modérateur qui voudra bien créer le nouveau fil de discussion sur "saint Ronan et saint René".

Bien cordialement.
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Maryse Schreiner
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Message par Maryse Schreiner »

Bonjour à tous

Il est vrai que le sujet a dévié, mais c’est parfois logique à la suite des échanges.
Je pense qu’il est possible de laisser cette file, agréable à lire.
Un compromis, je rajoute René / Renan dans le titre.

Bien cordialement
Maryse
Maryse Schreiner CGF08289
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chopendoz
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Message par chopendoz »

Bonjour André-Yves, bonjour à tous,

Le culte de saint René paraît en effet avoir été fortement encouragé à Angers dès le début du 11ème siècle si l'on considère le nombre important de translations des reliques du saint : une première fois un 12 novembre, jour de la fête du saint, par l'évêque Renaud (974-1004), puis en 1012, 1082, 1151 et 1255. Cf. Auctoritas, mélanges offerts à Olivier Guillot, pages 377-381 :
http://books.google.fr/books?id=usZKEYslWB8C&pg=RA2-PT301&lpg=RA2-PT301&dq=%22notice+qui+relate+la+translation+des+reliques+de+saint+ren%C3%A9%22&source=bl&ots=rv9_4EVrGL&sig=goCdV3v_3eN80VvXRaL7JsTxG5g&hl=fr&ei=YBVvTcqLL9Sz8QPymentDg&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBkQ6AEwAA#v=onepage&q=%22notice%20qui%20relate%20la%20translation%20des%20reliques%20de%20saint%20ren%C3%A9%22&f=false
L'auteur ne précise pas d'où provenaient les reliques mais il s'agit vraisemblablement de Sorente dans le sud de l'Italie, là où saint René aurait terminé sa vie d'après la légende.
la dernière translation intervient avant que Louis d'Anjou ne devienne roi de Naples (1266) et de Sicile (1264).

En Bretagne, la francisation de Ronan en René remonte au moins au début du 16ème siècle. Anne de Bretagne élève Locronan au rang de ville en 1505 lors de son périple breton mais je n'ai pas encore réussi à savoir si son séjour en ce lieu est lié avec un désir de maternité. Les évènements sont relatés comme suit par Paul Peyron : "Le saint est spécialement invoqué pour obtenir postérité... C'est par reconnaissance pour ce saint évêque que la Duchesse Anne donna le nom de Renée à la fille qu'elle eut de Louis XII, et maintenant encore le saint est invoqué pour cet objet" (Pélerinages, troménies, processions votives au diocèse de Quimper, BAAB 1912, pages 281-282). Cette anecdote est reprise également par Jean-Louis de Leissègues de Rozaven en 1817 (lettre à une de ses nièces de Quimper) et Anatole Le Bras en parle dans Au pays des pardons.
Saint Ronan semble qualifié par ailleurs pour la guérison des paralysies et des rhumatismes. Il n'est pas impossible que le culte de saint René ait influencé ici celui de saint Ronan.

Locronan aurait porté le nom de Saint-René-du-Bois d'après Jacques Baudoin (Grand livre des saints) mais je ne suis pas certain de l'information. On aurait apparemment Saint-Renan du Bois en 1547.
Joël Hascoët signale cependant que la troménie était présentée comme la "procession générale de Monsieur St René" en 1599 et 1617, "le tour de saint René" en 1635, "la grande procession de saint René" en 1653. On revient à saint Ronan à partir de 1677 : "tournée de saint Ronan" (cf. la thèse de Joël sur les troménies bretonnes, page 149).
Nous avons donc la traduction de Ronan par René dans les documents écrits en français de la fin du 16ème aux années 1670, sans qu'il y ait substitution de culte.
On en a la confirmation dans les registres paroissiaux. J'avais signalé dans un message précédent le "passage à vide" en matière d'attributions du nom Ronan dans les baptêmes des années 1620-1670. En consultant les baptêmes enregistrés dans le Porzay jusqu'en 1670, je constate qu'à plusieurs reprises le nom René a été attribué à des enfants nés à des dates proches du jour de la saint Ronan (1er juin 1655, 3 juin 1656). On ne trouve pas de baptêmes de René le jour de la fête de ce saint le 12 novembre. J'en déduis que pendant cette période l'on a nommé ces enfants Ronan mais que le nom est traduit par René dans les registres.

En 2009, Jean-Yves Le Moing a présenté au CIRDoMoC un travail sur la francisation de certains noms de saints bretons.
Cf. un résumé ici : http://cirdomoc.free.fr/Landeven.htm
Il signale que c'est généralement dans l'intention d'attirer plus de monde aux fêtes religieuses locales que l'on a remplacé un saint quasi inconnu par un autre au nom proche mais plus célèbre. Avec une exception toutefois, celle de saint Renan (ou Ronan), remplacé par saint René à Hillion : on peut penser que la décision a été prise par une personne étrangère à la Bretagne, car saint Ronan est supposé être décédé à Hillion.

Comme l'a fait remarqué Bernard Tanguy, le nom de l'ermitage d'Hillion s'appelait encore Saint Regnan en 1554. La modification du nom du lieu serait imputable à André Le Porc de la Porte, évêque du diocèse de Saint-Brieuc de 1620 à 1632, qui aurait exigé du recteur le changement en Saint-René. Il faut préciser que le le jeune évêque était angevin d'origine, et fils d'un baron de Vezins prénommé René (petite bio dans la Revue de Bretagne de Vendée et d'Anjou, volume 40, pages 321-322).
La transformation du nom de la localité n'a toutefois pas entraîné une substitution du culte : Dom Lobineau précise en 1725 à propos des lieux de culte de saint Ronan qu'outre les deux bourgs de Saint Renan dans les évêchés de Leon et de Quimper, il y a encore dans celui de Saint-Brieuc la paroisse de Lan-Renan.

Le prestige de saint René devait toutefois être très important en Bretagne au 17ème siècle pour qu'Albert Le Grand consacre en 1636 une notice particulière à ce saint étranger. Quelques années plus tard, un document rédigé dans les années 1640 intitulé Histoire de l'évesché de Léon (publié par Hervé Torchet) fait quand même bien la distinction entre René et Ronan lorsqu'il parle de la paroisse de Saint-Renan : "l'église paroissiale dédiée de Saint Ronan abbé ermite duquel voyez la vie dans le père Albert Le Grand au 1er jour de juin, auquel jour il est marqué dans l'ancien missal de Léon, Ronani E et C (évêque et confesseur), IXL. Ne croyez pas que ce soit Saint René aussi E et C duquel la fête a été marquée au même missal au 12ème jour de novembre".
Texte intégral ici : http://www.laperenne-zine.com/articles. ... =fr&pg=841

Bilan de cette étape
A part peut-être à Hillion, il ne semble pas qu'il y ait eu tentative de substituer le culte de saint René à celui de saint Ronan. Il s'agit d'une simple traduction de Ronan par René dans les documents écrits en français. On pourrait même parler d'une mode qui a commencé au 16ème pour s'éteindre d'elle-même dans les années 1670.

André-Yves : auriez-vous par hasard le texte complet de l'intervention de Jean-Yves Le Moing au CIRDoMoC ?

Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener
André-Yves Bourgès
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Message par André-Yves Bourgès »

Bonjour Pierre Yves, bonjour à tous,

chopendoz a écrit :En Bretagne, la francisation de Ronan en René remonte au moins au début du 16ème siècle. Anne de Bretagne élève Locronan au rang de ville en 1505 lors de son périple breton mais je n'ai pas encore réussi à savoir si son séjour en ce lieu est lié avec un désir de maternité. Les évènements sont relatés comme suit par Paul Peyron : "Le saint est spécialement invoqué pour obtenir postérité... C'est par reconnaissance pour ce saint évêque que la Duchesse Anne donna le nom de Renée à la fille qu'elle eut de Louis XII, et maintenant encore le saint est invoqué pour cet objet" (Pélerinages, troménies, processions votives au diocèse de Quimper, BAAB 1912, pages 281-282). Cette anecdote est reprise également par Jean-Louis de Leissègues de Rozaven en 1817 (lettre à une de ses nièces de Quimper) et Anatole Le Bras en parle dans Au pays des pardons.

Cette présentation par l'abbé Peyron constitue désormais la vulgate concernant Anne de Bretagne, sa fille Renée, Locronan et saint Ronan ; mais je ne suis pas sûr que nous disposions d'éléments positifs à ce sujet. En particulier, je pense que saint René d'Angers a toute chance d'avoir été le patron de la petite princesse : quand César Borgia avait remis la bulle papale autorisant le mariage de Louis XII avec Anne de Bretagne, le roi l'avait conduit à la cathédrale d'Angers pour y vénérer les reliques du saint ; et le chanoine Grandet (+ 1724) rapporte que "L'an 1509 Louis XII revint encore à Angers avec la Royne pour accomplir le vœu qu'il avoit fait à Dieu en l'honneur de saint René, pour obtenir un Dauphin, lequel leur ayant été accordé par l'intercession de ce grand saint, ils furent l'en remercier dans l'église cathédrale de Saint-Maurice, où ils avoient fait faire l'année d'auparavant une neuvaine de messes à cette intention. Ils y firent leurs dévotions avec beaucoup de piété".

Saint Ronan semble qualifié par ailleurs pour la guérison des paralysies et des rhumatismes. Il n'est pas impossible que le culte de saint René ait influencé ici celui de saint Ronan.

Je pense que les spécialisations thérapeutiques attribuées à saint Ronan, qui ne figurent pas dans sa vita, lui sont effectivement venues de saint René d'Angers.

Locronan aurait porté le nom de Saint-René-du-Bois d'après Jacques Baudoin (Grand livre des saints) mais je ne suis pas certain de l'information.

A. Deshayes dans son Dictionnaire topographique du Finistère indique cette mention à l'année 1618, avec la référence AD 29, 5 H 108.

André-Yves : auriez-vous par hasard le texte complet de l'intervention de Jean-Yves Le Moing au CIRDoMoC ?

Je pense que ce texte sera publié dans un prochain numéro de Britannia monastica, mais je n'en dispose pas.

Bien cordialement.
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chopendoz
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Message par chopendoz »

Bonjour André-Yves, bonjour à tous,

Les documents que vous nous amenez là sont très intéressants car ils attestent d'une part l'existence d'un vœu pour avoir un héritier, d'autre part l'invocation à saint René d'Angers pour l'exaucement de ce vœu. Je remarque que c'est précisément Louis XII qui a une dévotion particulière pour ce saint.
Selon d'autres sources, le garçon (qui ne vécut pas) serait né en 1503 et non en 1509 mais cela n'a guère d'importance ici.

La très conséquente notice paroissiale de Locronan rédigée par les chanoines Abgrall et Pondaven (publiée dans le BDHA 1925) fait référence à de nombreux documents des 15ème, 16ème et 17ème siècles.

On y mentionne ainsi la chapellenie de Saint Ronan du Bois en 1457, dite de Monsieur saint René en 1548. On cite également le prieuré de Saint René du Boys en 1550, le bourg de Saint René en 1618, la ville de Saint René du Boys en 1643 et 1645, l'église Saint René du Bois en 1707.

Les auteurs rappellent que la duchesse Anne avait une dévotion particulière à saint Ronan (page 139), qu'elle avait fait bâtir la chapelle qui est du côté méridional de ladite église, et ordonné qu'en ladite chapelle se dirait une messe toujours et que pour l'entretien de ladite messe elle avait constitué une rente de 5 ou 600 livres sur les devoirs de sel au pays de Guérande, que ladite messe a été dite jusques en l'an 1590 (document de 1618, page 133). Lesdites messes devant l'autel et l'image de saint Renan avaient déjà été confirmées en 1504 (page 131).

On peut observer que les références à saint René apparaissent dans les documents bretons au 16ème siècle. On pourrait voir dans la dévotion d'Anne pour saint Ronan une réplique de celle de son époux envers saint René.

Voici pour terminer les principaux lieux de culte à saint René en Bretagne avant le 19ème siècle.

Diocèse de Nantes
La chapelle de la Piraudière (1654) à Belligné,
La chapelle Saint-René (1659) à Derval,
La chapelle de la Halquinière (1773) à Doulon,
Une statue du saint dans la chapelle Sainte Anne (1641) de Saint Julien de Vouvantes, et une autre dans la chapelle privée du manoir de l'Aubinière de la Boissière-du-Doré.

Diocèse de Vannes
La chapelle Saint-Renée (15ème) de Malansac,
Une statue du saint dans l'église de Plouray provenant d'une fontaine située dans le village de Saint-René,
Il y avait un autel dédié au saint dans la cathédrale de Vannes et un également dans l'église paroissiale de Saint-Goustan.
Un saint René dans l'église de Rochefort en Terre aurait été transformé en saint Mathurin par l'adjonction d'un goupillon (signe distinctif de ce saint).

Diocèse de Rennes
La chapelle Saint-René de Bliche (1700) à Lecousse.

Diocèse de Dol
Le village Saint-René de Saint-André des Eaux (près de Dinan) rappelle peut-être l'existence d'une ancienne chapelle dans cette localité.

Diocèse de Saint-Malo
Idem pour l'enclave de Saint-René située à Mégrit (canton de Broons).

Diocèse de Saint-Brieuc
La chapelle privée Saint-René du Clos-Neuf (16ème) à Andel,
La chapelle privée du château du Colombier (18ème) à Hénon.
Citons pour mémoire le lieu-dit Saint-René à Hillion dont nous avons déjà parlé.

Diocèse du Trégor
Rien trouvé.

Diocèse de Léon
Une statue du saint dans l'église paroissiale de Plounéour-Menez.

Diocèse de Cornouaille
Une peinture (vers 1715) sur les lambris de l'église du Bodéo (près de Corlay),
Une statue dans la chapelle privée de Keranhoat à Lopherhet,
Un autel dédié à saint Ronan se trouvait dans la cathédrale de Quimper, le titulaire est parfois nommé saint René. De 1466 à 1549, cet autel était dédié à saint Martin.

Les lieux de culte se situent majoritairement en Haute Bretagne. Il n'existe aucune église paroissiale sous le vocable de saint René, sept chapelles en tout. Une bonne partie des statues se trouve dans des chapelles privées. Je trouve le résultat finalement assez mince pour un saint qui bénéficiait quand même d'un certain prestige au vu des attributions de son nom dans les registres paroissiaux.

Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener
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chopendoz
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Message par chopendoz »

Bonjour à tous,

Dans le cadre d'une recherche plus générale sur les modes de transmission des prénoms, je vous fais ci-dessous un copier/coller de quelques observations sur le prénom René, en me disant qu'à l'occasion certains colistiers trouveront peut-être quelques cas précis pour illustrer mes propos, la question principale étant : pourquoi nomme-t-on un enfant René ?

J'ai établi des statistiques des attributions du prénom René dans quatre paroisses cornouaillaises pour lesquelles nous avons des registres à peu près continus au 17ème.
J'ai choisi deux paroisses proches de Locronan :
- Ploaré, 14480 actes de 1615 à 1789,
- Cast, 7866 actes de 1648 à 1789,
et deux paroisses à l'autre bout du diocèse, où l'on peut supposer que le risque de contamination par Ronan soit quasiment nul :
- Spézet, 15382 actes de 1600 à 1789,
- Scaër, 24828 actes de 1614 à 1789.

Afin de pouvoir comparer facilement les données, le graphique présenté n'indique pas le volume des attributions du nom René mais le rapport entre les attributions du nom et le total des naissances dans la paroisse (nombre de René pour 1000 naissances).

Image

Observations

La première impression qui se dégage de ce graphique est que l'on n'y trouve aucune symétrie évidente dans les proportions. Il n'existe pas ici de modèle bien défini des attributions du prénom René, modèle qui présenterait un cycle de vie que l'on pourrait transposer dans n'importe quelle paroisse. Chaque nom doit donc être apprécié localement, en fonction de circonstances particulières.

On observe néanmoins une tendance générale à l'accroissement. Les attributions sont encore rares au début du 17ème siècle, et c'est sans doute à cette époque que le nom a véritablement commencé à être en faveur dans toutes les couches sociales. Sa popularité ne doit vraisemblablement rien à la réputation du "bon roi René" qui gouvernait l'Anjou au 15ème siècle, ni même à celle de Renée de France, fille d'Anne de Bretagne, même s'ils ont pu servir de modèles référentiels dans certaines familles de la noblesse bretonne aux 15ème et 16ème siècles.

La popularité du nom se rattacherait donc essentiellement au personnage de saint René, tel qu'il était connu par sa légende au début du 17ème. Cette légende se focalise presque exclusivement sur sa naissance à la suite d'un vœu, sa mort à l'âge de sept ans et sa résurrection sept ans plus tard par l'évêque Maurille, qui l'aurait alors baptisé René ("né deux fois").
Voir un résumé de la légende ici : http://fraangelico.forumculture.net/t1085-saint-rene
Quelques lignes sur les rédacteurs de sa vita : http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... 394_0000_4 (recension d'un livre d'A. Houtin intitulé Les origines de l'église d'Angers, la légende de saint René).

Saint René était invoqué pour les problèmes de fécondité et on peut penser que son nom était fréquemment attribué à la suite de vœux effectués par des femmes qui n'arrivaient pas à avoir d'enfant.

Attributions à Spézet
Malgré un démarrage prometteur dans les années 1610, René ne sera jamais populaire dans la paroisse, seulement 59 baptêmes en deux siècles, avec un taux moyen de 4 pour mille. Pourquoi cet échec ? Peut-être parce que les quelque René nés dans les premières décennies du 17ème sont pour la plupart morts avant d'atteindre l'âge adulte, rendant alors impossible la retransmission automatique du nom par des parrains potentiels. Hypothèse difficile à vérifier car si les registres de décès commencent bien en 1623, ils ne semblent pas exhaustifs avant les années 1670.

Attributions à Scaër
Les premiers registres datent de 1614 et les attributions du nom ont déjà commencé. Un évènement majeur s'est toutefois produit dans les années 1630, qui entraîna des attributions massives jusqu'en 1660. Cela sera suffisant pour assurer la grande popularité du nom jusqu'à la fin du siècle suivant. Le taux moyen est de 30 pour 1000, ce qui situe René probablement autour de la 10ème place dans la liste des noms les plus portés dans la paroisse.
Quel facteur déclenchant peut être à l'origine de cet étonnant succès ?
Il n'y a pas de chapelle Saint-René à Scaër, ni même de statue ou autre représentation du saint dans toute la paroisse. On trouve toutefois dans la chapelle Saint-Guénolé la statue d'un saint évêque non identifié. Serait-il saint René, évêque d'Angers ? Si un colistier avait la possibilité de prendre une photo de cette statue, cela m'intéresserait bien d'en connaître les signes distinctifs.
Quand bien même la statue serait celle de saint René, on ne saurait toujours pas pourquoi elle aurait été placée là. Peut-être à la suite d'un vœu exaucé ? Il serait intéressant de voir si à Scaër dans les années 1630 nous n'aurions pas la naissance d'un René, dont le parrain n'est pas prénommé René, et pour lequel il y aurait un nombre d'années important entre la date du mariage des parents et la naissance.
La mode des René à Scaër dans les années 1630-1660 pourrait également être une conséquence de la publication de la notice spéciale sur saint René dans les Vies des saints de la Bretagne Armorique , ouvrage publié par Albert Le Grand en 1636-1637.

Attributions à Cast
Le fait déclencheur se produit dans les années 1660. En listant les actes de baptême de cette période, on observe qu'à neuf reprises au moins (entre 1657 et 1668), le parrain est René Cariou, vénérable et discrète personne messire prêtre et curé de Cast. Ces attributions massives produiront de nouvelles attributions à la génération suivante, lorsque les baptisés deviendront parrains à leur tour.

Attributions à Ploaré
Quoique l'on ait des registres dans cette paroisse depuis 1615, les attributions ne se développent que dans les années 1640, mais très faiblement. Avant cette date nous avons un seul René (1636) et trois Ronan (1622, 1629, 1638). A l'échelle du diocèse, on se rend compte de l'absence presque totale des Ronan dans les registres de Cornouaille de 1641 à 1668 (7 attributions en Cornouaille, 11 en Léon) alors qu'ils étaient très en faveur dans les décennies antérieures (59 en Cornouaille, 14 en Léon, essentiellement à Saint-Renan). Le nom Ronan redevient très populaire en Cornouaille après 1668. Cette période 1641-1668 n'a pas été sélectionnée au hasard : elle correspond aux années de l'épiscopat de René du Louët, qui a visiblement découragé la diffusion du nom Ronan dans son diocèse. Cela n'aura toutefois pas suffi à booster les attributions du nom René à Ploaré car son décollage dans la paroisse n'intervient que dans les années 1700. Il serait intéressant de voir sous quels noms étaient désignés dans les années 1640-1670 les Ronan nés jusqu'en 1640.

D'une manière générale, on remarque que lorsqu'un nom bénéficie d'une diffusion large dans une paroisse, il y a eu fréquemment à l'origine un fait déclencheur qui produit automatiquement ses effets sur les générations suivantes grâce au processus de transmission par parrainage. Cette diffusion durera tant que les parrains auront une image positive de leur propre nom.

Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener
Jean-Pierre Lagadec
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Message par Jean-Pierre Lagadec »

Bonjour,
Je découvre cette discussion aujourd'hui.

J'ajoute la référence à la commune de Laurenan (apparemment non citée), et pour Saint-René le lien complètement hors sujet vers une photo aérienne:
http://www.survoldefrance.fr/affichage2 ... uiv_link=1

"page suivante" pour une vue rapprochée de l'église de Saint René.

Dans geoportail, utiliser la vue centrée:

http://www.geoportail.fr/visu2D.do?cg=d ... wxfDEwMHww

Le fond de la baie de Saint-Brieuc, avec parfois les algues vertes, est au-dessus.

Il y a des sujets qui mériteraient plutôt qu'un forum, un "wiki".
cordialement
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chopendoz
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Message par chopendoz »

Bonjour Jean-Pierre, bonjour à tous,

J'avais juste fait une rapide allusion à Laurenan l'autre jour en citant un texte de Dom Lobineau mais votre remarque m'a amené à m'y intéresser de plus près. La question est : depuis quand saint Ronan est-il honoré dans cette localité ?

L'église paroissiale est actuellement sous le vocable de saint Ronan.
Étymologiquement, on explique le nom de Laurenan par le breton lann-Ronan, c'est-à-dire ermitage de Ronan (cf. par exemple Jean-Yves Le Moing, Noms de lieux de Bretagne, page 70).
Ce nom d'origine bretonne en plein pays gallo m'a néanmoins interpelé. Laurenan fait partie de l'ancien diocèse de Saint-Brieuc et se situe au sud des Côtes d'Armor actuelles, proche de Merdrignac. Les graphies anciennes indiquent Laurunan (1330), Lanregnan (1403), Lanrenan (1405).
Les noms des autres villages de la paroisse sont presque tous des noms français (la Cariaudais, le Quincay, l'Erignac, la Sauvagère, etc.), ce qui permet de penser que l'on ne parle plus breton dans cette zone depuis fort longtemps. Nous avons cependant le lieu-dit Le Ménéhi qui désigne en breton une terre monastique. Il y a de fortes chances que la paroisse ait été fondée par des moines originaires de Basse Bretagne.
Si quelqu'un avait chez lui le Dictionnaire des noms de communes des Côtes d'Armor de Bernard Tanguy, je serais curieux de savoir ce qu'il en dit.

Albert Le Grand précise bien qu'il existe "plusieurs chapelles en Bretagne dédiées à ce saint" (Vies des saints de la Bretagne Armorique, 1637) mais il ne présente que Saint-Renan et Locronan. Un siècle plus tard, Dom Lobineau précise qu'outre "les deux bourgs de saint Renan dans les évêchez de Leon et de Quimper, il y a encore dans celui de Saint-Brieuc la paroisse de Lan-Renan" (Les vies des saints de Bretagne, 1725). C'est à quelques mots près, ce que disent aussi les Bollandistes : "Outre les deux bourgs de Saint-Ronan, dans les diocèses de Léon et de Quimper, il y a encore dans celui de Saint-Brieuc la paroisse de Lan-Renan, qu'on nomme maintenant Laurenan", si du moins la version française que je recopie ici http://homepage.mac.com/thm72/orthodoxievco/ecrits/vies/synaxair/juin/ronan.pdf est exacte.
Dom Lobineau rapportait par ailleurs que saint Ronan se serait peut-être retiré à la fin de sa vie "dans la forêt de Loudéac, ou dans celle de la Nouée (Lanouée)", c'est-à-dire à proximité du bourg actuel de Laurenan.

Tout semble donc confirmer la référence à saint Ronan. Nous avons cependant un problème au niveau des choix de prénomination. Pas un seul Ronan ni Renan sur les registres de baptêmes de Laurenan, qui commencent en 1653. Par contre, dès le début nous avons une quantité impressionnante de René.
Le canton de Merdrignac englobe outre Laurenan huit autres communes : Gomené, Illifaut, Loscouët, Merillac, St Launeuc, St Veran, St Vran et Tremorel. Je viens de rechercher les attributions du nom René dans ce canton de 1670 à 1700 : 75 attributions au total, 2 à Merillac, 6 à Loscouët, 15 à Illifaut et 52 à Laurenan.
Il est évident que le nom René est à Laurenan une référence au patron de la paroisse. Mais s'agit-il d'une francisation de Ronan ou véritablement de saint René ? Nous pourrions nous en assurer en consultant un nombre significatif d'actes de baptême et en listant toutes les fois où un enfant a été baptisé René le jour de la saint Ronan (1er juin) ou le jour de la saint René (12 novembre). Pour ma part, je n'ai plus assez de points Généabank pour faire cette recherche actuellement mais si un colistier en disposait d'un nombre suffisant, nous pourrions avoir la réponse rapidement ! L'idéal serait de commencer par les plus anciens.

Il faut signaler par ailleurs que Laurenan dépendait du marquisat de Coëtlogon, nom d'une famille illustre installée justement au château de Coëtlogon, proche de la Trinité Porhoët. J'apporte cette précision car le successeur de René du Louët à l'évêché de Cornouaille fut François de Coëtlogon, né à Plumieux en 1631, qui fut évêque de 1668 à 1706. Or nous savons d'après un commentaire d'A.-M. Thomas inséré dans l'ouvrage d'Albert Le Grand que le 29 avril 1687, François de Coëtlogon avait fait ouvrir à Quimper la châsse contenant les reliques de saint Ronan, signe de l'intérêt manifeste qu'il portait à ce saint.

Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener
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