Bonjour à tous,
Dans le cadre d'une recherche plus générale sur les modes de transmission des prénoms, je vous fais ci-dessous un copier/coller de quelques observations sur le prénom René, en me disant qu'à l'occasion certains colistiers trouveront peut-être quelques cas précis pour illustrer mes propos, la question principale étant : pourquoi nomme-t-on un enfant René ?
J'ai établi des statistiques des attributions du prénom René dans quatre paroisses cornouaillaises pour lesquelles nous avons des registres à peu près continus au 17ème.
J'ai choisi deux paroisses proches de Locronan :
- Ploaré, 14480 actes de 1615 à 1789,
- Cast, 7866 actes de 1648 à 1789,
et deux paroisses à l'autre bout du diocèse, où l'on peut supposer que le risque de
contamination par Ronan soit quasiment nul :
- Spézet, 15382 actes de 1600 à 1789,
- Scaër, 24828 actes de 1614 à 1789.
Afin de pouvoir comparer facilement les données, le graphique présenté n'indique pas le
volume des attributions du nom René mais
le rapport entre les attributions du nom et le total des naissances dans la paroisse (nombre de René pour 1000 naissances).
Observations
La première impression qui se dégage de ce graphique est que l'on n'y trouve aucune symétrie évidente dans les proportions. Il n'existe pas ici de modèle bien défini des attributions du prénom René, modèle qui présenterait un
cycle de vie que l'on pourrait transposer dans n'importe quelle paroisse. Chaque nom doit donc être apprécié localement, en fonction de circonstances particulières.
On observe néanmoins une tendance générale à l'accroissement. Les attributions sont encore rares au début du 17ème siècle, et c'est sans doute à cette époque que le nom a véritablement commencé à être en faveur dans toutes les couches sociales. Sa popularité ne doit vraisemblablement rien à la réputation du "bon roi René" qui gouvernait l'Anjou au 15ème siècle, ni même à celle de Renée de France, fille d'Anne de Bretagne, même s'ils ont pu servir de modèles référentiels dans certaines familles de la noblesse bretonne aux 15ème et 16ème siècles.
La popularité du nom se rattacherait donc essentiellement au personnage de saint René, tel qu'il était connu par sa légende au début du 17ème. Cette légende se focalise presque exclusivement sur sa naissance à la suite d'un vœu, sa mort à l'âge de sept ans et sa résurrection sept ans plus tard par l'évêque Maurille, qui l'aurait alors baptisé
René ("né deux fois").
Voir un résumé de la légende ici :
http://fraangelico.forumculture.net/t1085-saint-rene
Quelques lignes sur les rédacteurs de sa
vita :
http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... 394_0000_4 (recension d'un livre d'A. Houtin intitulé
Les origines de l'église d'Angers, la légende de saint René).
Saint René était invoqué pour les problèmes de fécondité et on peut penser que son nom était fréquemment attribué à la suite de vœux effectués par des femmes qui n'arrivaient pas à avoir d'enfant.
Attributions à Spézet
Malgré un démarrage prometteur dans les années 1610, René ne sera jamais populaire dans la paroisse, seulement 59 baptêmes en deux siècles, avec un taux moyen de 4 pour mille. Pourquoi cet échec ? Peut-être parce que les quelque René nés dans les premières décennies du 17ème sont pour la plupart morts avant d'atteindre l'âge adulte, rendant alors impossible la retransmission automatique du nom par des parrains potentiels. Hypothèse difficile à vérifier car si les registres de décès commencent bien en 1623, ils ne semblent pas exhaustifs avant les années 1670.
Attributions à Scaër
Les premiers registres datent de 1614 et les attributions du nom ont déjà commencé. Un évènement majeur s'est toutefois produit dans les années 1630, qui entraîna des attributions massives jusqu'en 1660. Cela sera suffisant pour assurer la grande popularité du nom jusqu'à la fin du siècle suivant. Le taux moyen est de 30 pour 1000, ce qui situe René probablement autour de la 10ème place dans la liste des noms les plus portés dans la paroisse.
Quel facteur déclenchant peut être à l'origine de cet étonnant succès ?
Il n'y a pas de chapelle Saint-René à Scaër, ni même de statue ou autre représentation du saint dans toute la paroisse. On trouve toutefois dans la chapelle Saint-Guénolé la statue d'un
saint évêque non identifié. Serait-il saint René, évêque d'Angers ? Si un colistier avait la possibilité de prendre une photo de cette statue, cela m'intéresserait bien d'en connaître les signes distinctifs.
Quand bien même la statue serait celle de saint René, on ne saurait toujours pas pourquoi elle aurait été placée là. Peut-être à la suite d'un vœu exaucé ? Il serait intéressant de voir si à Scaër dans les années 1630 nous n'aurions pas la naissance d'un René, dont le parrain n'est pas prénommé René, et pour lequel il y aurait un nombre d'années important entre la date du mariage des parents et la naissance.
La mode des René à Scaër dans les années 1630-1660 pourrait également être une conséquence de la publication de la notice spéciale sur saint René dans les
Vies des saints de la Bretagne Armorique , ouvrage publié par Albert Le Grand en 1636-1637.
Attributions à Cast
Le fait déclencheur se produit dans les années 1660. En listant les actes de baptême de cette période, on observe qu'à neuf reprises au moins (entre 1657 et 1668), le parrain est René Cariou,
vénérable et discrète personne messire prêtre et curé de Cast. Ces attributions massives produiront de nouvelles attributions à la génération suivante, lorsque les baptisés deviendront parrains à leur tour.
Attributions à Ploaré
Quoique l'on ait des registres dans cette paroisse depuis 1615, les attributions ne se développent que dans les années 1640, mais très faiblement. Avant cette date nous avons un seul René (1636) et trois Ronan (1622, 1629, 1638). A l'échelle du diocèse, on se rend compte de l'absence presque totale des Ronan dans les registres de Cornouaille de 1641 à 1668 (7 attributions en Cornouaille, 11 en Léon) alors qu'ils étaient très en faveur dans les décennies antérieures (59 en Cornouaille, 14 en Léon, essentiellement à Saint-Renan). Le nom Ronan redevient très populaire en Cornouaille après 1668. Cette période 1641-1668 n'a pas été sélectionnée au hasard : elle correspond aux années de l'épiscopat de
René du Louët, qui a visiblement découragé la diffusion du nom Ronan dans son diocèse. Cela n'aura toutefois pas suffi à booster les attributions du nom René à Ploaré car son décollage dans la paroisse n'intervient que dans les années 1700. Il serait intéressant de voir sous quels noms étaient désignés dans les années 1640-1670 les Ronan nés jusqu'en 1640.
D'une manière générale, on remarque que lorsqu'un nom bénéficie d'une diffusion large dans une paroisse, il y a eu fréquemment à l'origine un fait déclencheur qui produit automatiquement ses effets sur les générations suivantes grâce au processus de transmission par parrainage. Cette diffusion durera tant que les parrains auront une image positive de leur propre nom.
Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener